Les thèmes abordés par Antônio Olinto dans son livre sont originaux et montrent certains aspects peu connus des relations établies autrefois entre les côtes d´Afrique et le Brésil.
Quelques éclaircissements sont peut-être nécessaires pour la compréhension de ce roman par un public de langue française qui pourrait ne pas être familier avec les problèmes du Brésil.
Précisons donc que ces relations Afrique-Brésil ont été établies dès le XVIe siècle par la traite des nègres qui amenait au Brésil la main-d´oeuvre destinée à la culture de la canne à sucre et aux travaux dans les mines.
Les vaisseaux allaient chercher des travailleurs tout au long de la côte occidentale de l´Afrique, de façon discontinue entre la Sénégambie et l´Angola, et sur la côte orientale en Mozambique et dans l´île de San Lourenço (Madagascar).
Des relations plus étroites s´étaient établies entre le port de Bahia au Brésil et la région du golfe de Bénin en Afrique pour des raisons complexes, parmi lesquelles figurait la présence de tabac d´une certaine qualité dans le premier endroit, très demandé au deuxième d´entre eux - et, réciproquement, les qualités montrées par les noirs de cette partie de l´Afrique étaient plus particulièrement appréciées en cette région du Brésil.
On sait que les habitants du Brésil et des autres pays d´Amérique sont les descendants des immigrants européens, des indiens autochtones, des travailleurs africains et, quelquefois, de groupes plus ou moins importants d´Asiatiques.
On sait qu´une partie de ces habitants affirment leur appartenance à un seul de ces groupes ethniques, et que d´autres acceptent d´être les descendants de deux ou même de trois d´entre eux.
On sait les graves problèmes soulevés par les relations entre les gens de ces diverses races dans certains pays, l´Amérique du Nord en particulier, et les graves conflits qui en résultent.
On sait qu´au Brésil, au contraire, ces questions ont été résolues avec harmonie et un grand esprit de compréhension mutuelle. L´absence presque totale dans la société brésilienne des problèmes posés par la vie en commun de personnes de races et d´origines si différentes ressort discrètement dans cet ouvrage, du fait qu´il n´en est pratiquement jamais question.
Certains auteurs ont écrit au sujet de la traite des nègres et de l´esclavage au Nouveau Monde, mais il n´en est aucun à ma connaissance qui ait publié un roman fondé sur la vie des Africains au Brésil, anciens esclaves libérés, et de leur retour, en compagnies de leurs descendants, en leur lieu d´origine sur la côte occidentale de l´Afrique.
Le roman d´Antônio Olinto nous fait vivre l´odyssée, à la fin du siècle dernier, d´une de ces familles composée de Catarina, une vieille Africaine, de sa fille et de trois de ses petits-enfants. Du fond de sa province du Piau, elle va vers Bahia ; elle revient vers Bahia serait plus exact, car c´est en ce port du Brésil que Catarina avait été débarquée une cinquantaine d´années auparavant, lorsque la traite l´avait arrachée à sa ville natale d´Abeokuta, dans l´actuel Nigeria.
Son intention est de retourner en Afrique avec les siens. A Bahia, où les Noirs sont très nombreux, Catarina retrouve de nombreux aspects de l´Afrique ; elle revoit sur le visage des Noirs des marques tribales semblables aux siennes et elle les entend parler en langue Yorouba qu´un long séjour au Piau lui avait fait presque oublier ; on lui sert les nourritures préparées suivant des recettes qui lui rappellent ce qu´elle mangeait dans son enfance. Elle porte à nouveau au cou des colliers aux couleurs symboliques des orishás, les dieux de sa famille, et elle participe à cette vie mi-africaine, mi-portugaise que menaient les anciens esclaves africains à Bahia à cette époque.
Certains quartiers portaient alors des noms africains, tel Nago-Tedo, où habitaient surtout les Nago-Yoroubas amenés de l´actuel Nigeria et du Dahomey. On retrouvait aussi d´anciens esclaves groupés par «nations» d´origine dans diverses confréries religieuses catholiques et les cantos, points de stationnement où les portefaix et les porteurs de palanquins attendaient l´appel des clients.
Ces Noirs africains, libérés par leurs propres efforts, s´étaient adaptés à la vie brésilienne à des degrés différents. Les uns se trouvaient à l´aise au Brésil et tendaient à s´intégrer dans la vie du pays, à en adopter et en imiter le mode de vie. Pour les Noirs créoles, nés dans le pays, le problème ne se posait pas, ils se sentaient chez eux. D´autres Africains restaient attachés à leurs origines et cherchaient à retourner en Afrique, comme Catarina.
Accompagnée, un peu à contrecoeur, par sa famille, Catarina, après une longue et pénible traversée dans un voilier délabré, arrive à Lagos au Nigéria, à cette époque colonie britannique.
Elle reprend son nom africain, organise la vie des siens et ne tarderas à mourir.
Le roman tourne alors autour de Mariana, unes des petites-filles créoles, qui ne se trouve guère dépaysée dans ce port d´Afrique, où s´étaient établies de nombreuses familles africaine revenues du Brésil par petits groupes, dans les voiliers semblables à celui qui l´avait amenée elle-même.
Antônio Olinto souligne fort bien les liens de fraternité qui se sont établis par la suite entre les passagers d´un même bateau, sentiments qui subsistent ensuite toute leur vie.
Mariana mène alors, une existence qui, par un curieux parallélisme avec celle menée à Bahia, est, de même, mi-africaine, mi-brésilienne. Elle trouve à Lagos un quartier dit brésilien, avec des maisons à étages d´une architecture semblable à celle de Bahia, des nourritures préparées suivant les mêmes recettes, des gens qui dansent la samba et se divertissent à la brésilienne.
Ces Africains et leurs descendants de retour à Lagos formaient cependant une société à part ; ils étaient des étrangers pour les Anglais et des étrangers pour les Africains. Ils cultivaient avec soin leurs particularismes.
Tout ce petit monde se voulait brésilien et affichait une foi d´un catholicisme, épuré en principe de tout syncrétisme avec les dieux d´Afrique, largement accepté à cette époque (et même encore jusqu´aujourd´hui) à Bahia. Il s´agissait en faite d´un désir d´affirmation de civilisation occidentale, la volonté de paraître not native. Antônio Olinto montre dans son roman que les gens de ce milieu ne manquaient pas cependant de célébrer discrètement le culte des ancêtres egoungoun et celui des Orishás familiaux.
L´auteur fait ensuite une chronologie minutieuse de la vie de Mariana, de son mariage, des enfants qu´elle met au monde. Il explique comment elle se révèle commerçante habile et entreprenante, s´enrichit et devient avec beaucoup d´assurance le véritable chef de la famille du vivant même de sa mère et de son mari.
Antônio Olinto montre ainsi que la condition des femmes en Afrique peut être quelquefois libre et indépendante, contrairement à l´idée que l´on peut se faire en générale leur état de sujétion aux hommes.
Pleine d´initiative, Mariana fait creuser le premier puits d´eau douce qui été foré dans l´île de Lagos, construit des maisons à étages de style brésilien, voyage dans les pays voisins, Dahomey, Togo et un pays imaginaire baptisé Zorei par l´auteur. Elle installe en ces divers pays des firmes d´export-import qui font des affaires florissantes.
Ses enfants et petits-enfants vont étudier à Londres, à Paris et à Bahia, en reviennent mariés. L´un d´entre eux devient même un dirigeants politiques d´un pays d´Afrique ayant accédé à l´indépendance.
Le roman s´achève de nos jours.
Cette réussite, ces activités aux résultats heureux trouveraient une explication fondée sur les considérations suivantes et déjà exposées en partie plus haut.
Les Africains qui revenaient dans leur pays, une fois libérés de leur condition servile, avaient été transformés par leur long séjour au Nouveau Monde. Gilberto Freyre écrit à ce sujet «qu´ils n´étaient plus africains tels qu´ils l´étaient à leur arrivée au Brésil, mais qu´ils s´étaient brésilianisés, c´est-à-dire devenus africains brésilianisés par le contact avec la nature, le milieu, la culture déjà vigoureusement métissé de cette partie de l´Amérique», et cela nous fait toucher la question de la rencontre des races, de l´interpénétration des civilisations et des cultures qui peuvent avoir souvent des résultats constructifs comme au Brésil.
Antônio Olinto pousse, dans son roman, à un degré plus élevé encore les facultés d´adaptation de son héroïne, Mariana, qui, dépassant le stade du puritanisme religieux de sa mère Epifânia, créole brésilienne de la première génération, se comporte de façon moins guindée et plus libre dans les milieux africains. Elle n´hésite pas, le cas échéant, à consulter les devins traditionnels pour résoudre ses problèmes ; elle fait plus ouvertement des offrandes aux Orishás familiaux, refermant ainsi le circuit des adaptations successives pour devenir une «descendante d´Africaine brésilianisée et ré-africanisée».